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Quelques pages très utiles pour comprendre et naviguer sur ce blog

mercredi 24 juin 2015

Le raton laveur



Et bien alors Marcel, on ne poste plus ?
Un petit texte inspiré de ce style (trop ?) plein d'incises et de digressions sans queues ni têtes que tu emploies parfois, pour te redonner le moral mon chou.





A Siana, mon amour ...



Il était une fois un jeune raton laveur. La petite boule de poil venait juste de rosser son premier castor, ce qui, comme chacun sait, indique l'âge de raison chez les ratons.
 (En effet, c'est un fait bien connu, les ratons laveurs et les castors ne s'apprécient guère. Une rivalité aussi vieille que le monde les oppose et en a fait les Montaigu et Capulet du règne animal). Donc, notre raton venait juste de devenir un adulte. Tout fier de lui, et encore plein de sa récente victoire, il roulait des mécaniques au bord de la rivière.


Ainsi que la tradition ratonne (féminin de "raton") le stipule, tout raton qui arrive à l'âge de raison se doit de pavaner sur les lieux de son forfait au moins 3 heures et demi avant de rentrer au bercail (3 heures trente étant le temps qu'il faut à un barrage pour céder si son castor ne revient pas l'étayer).











Notre raton n'attendit toutefois pas 3 heures et demi et, trop ravi d'être enfin un adulte fort et indépendant, préféra aller chasser des papillons dans la clairière avoisinante.











Seulement, le castor rossé ne l'était pas tant que ça, et se réveilla après "seulement" 2 heures de coma. D'abord partagé entre l'envie d'aller prendre sa revanche sur l'insolent rongeur - ironie : les castors sont aussi des rongeurs, mouarf -, et celle de sauver son ouvrage flottant, il opta rapidement pour la seconde option et pu consolider son barrage avant qu'il ne cédât.











On n'en parle pas assez, mais en réalité l'équilibre du monde repose quasi-exclusivement sur les us et coutumes des ratons et des castors (le "quasi" faisant référence à l'impact non négligeable qu'ont les papillons sur l'ordre des saisons puisqu'il suffit qu'un seul d'entre eux batte des ailes pour provoquer un ouragan à l'autre bout du globe, et que puisqu'il y a des papillons partout dans le monde, les forces de leurs battements d'ailes s'opposent et s'annulent (cependant, la Terre serait bien plus en danger si tous les papillons de l'hémisphère Est venaient à disparaître le même jour qu'elle ne l'est depuis 50 ans de réchauffement climatique)).
En effet, trop peu de personnes le savent, mais les castors et les ratons sont responsables du bon fonctionnement du cycle de l'eau sur notre planète. Et pour cause, avec les barrages des uns et ce rituel de destruction de digues en bois des autres, l'eau qui jaillit du manteau terrestre s'écoule juste au bon débit : assez rapidement pour ne pas causer d'inondations, et assez lentement pour pouvoir irriguer les sols auprès desquels elle coule et ainsi les rendre fertiles.











Or, notre raton était parti à la chasse aux papillons (activité ô combien importante quand on sait quel prix les femelles ratonnes (oui, ratonnes) attachent à ces délicats insectes qui, s'ils sont immédiatement plongés dans une ruche après leur capture et séchés 3 semaines en plein soleil une fois enduits de miel, font de ravissantes broches et autres bijoux du meilleur effet).
Son rival le castor eut donc l'occasion de sauver son barrage, ce qui eut pour effet de freiner le débit des eaux de cette rivière.
Mais le mal était bien plus profond.
Il faut savoir que la vie d'un raton est éprouvante et ne comporte que peu de loisirs. En effet, ces charmants marsupiaux (je n'ai aucune idée de savoir s'ils sont réellement des marsupiaux ou non, mais on me concèdera la flemme d'aller sur wikipédia vérifier une info dont, de toutes manières, on se tamponne le coquillard avec une patte d'alligator femelle) passent le plus clair de leur temps à faire des allers-retours entre la forêt et la rivière afin de ramener sous les frondaisons un maximum d'eau possible.
Cet intriguant processus ne sert d'une seule fin : les ratons passent la majeure partie de leur existence à nettoyer la forêt à l'eau claire. 
Il est dit que dans les temps immémoriaux où Dieu n'était encore qu'un enfant, les animaux de la forêt - qui, eux, existaient déjà à cette époque - aimaient à se rassembler près de lui pour jouer avec ce gros bébé barbu - la barbe est un attribut divin, quel que soit l'âge.
Bien entendu, chacun avait un rôle bien précis dans ce paradis d'alors. L'hirondelle emmenait les graines d'un endroit à l'autre pour propager les forêts ; la souris était chargée de la récolte des fraises ; l'éléphant écrasait tout ce qu'on lui donnait à compresser (le big bang n'ayant pas encore eu lieu et l'univers n'étant pas encore en expansion, il fallait ménager l'espace disponible) ; le pingouin s'assurait que le divin bébé ait toujours de la glace à portée (fraises + écrasement + glace = super sorbet, péché mignon divin par excellence) ; et le castor, à cause de leur queue-bouée, étaient chargés de veiller au bon écoulement des rivières.
Cependant, par un terrible après-midi de paradembre (le seul mois existant au paradis), le castor s'endormit et laissa l'eau des rivières couleur jusqu'à ce qu'il n'y en eut plus.
Voyant cela, le raton, qui passait par là, se hâta d'aller rapporter l'histoire au Tout Puissant afin, justement, qu'il puisse quelque chose.
Le raton courut, courut, et courut encore. Pendant 42 kilomètres 500, il s'époumona pour enfin parvenir au jardin divin. 
Parenthèse : à l'époque, raton n'avait pas de féminin. Et quand le singe, scribe des temps immémoriaux (ben oui, s'il n'y a pas de mémoire, faut bien les écrire ces histoires ! comment nous seraient-elles parvenues sinon ?), vit le raton arriver après avoir accompli cet exploit sportif, il hurla, car c'était une fille, "Ma Raton !!!! Qu'est-ce que tu es forte !". Assez étrangement, l'humanité n'a conservé que la première partie de cette expression ... fin de la parenthèse.
Lancée à pleine vitesse, elle ne vit Dieu qu'au dernier moment  et lui rentra en plein dedans, faisant valser son beau sorbet à la fraise sur le sol.
Dieu entra dans une colère noire et jura que toute la descendance ratonne devrait nettoyer toutes les forêts du monde qu'il créerait bientôt (même Dieu dût attendre l'âge de raison divin avant de pouvoir créer des mondes). Et quand il appris pourquoi la raton avait tant couru, sa colère ne diminua point. Bien au contraire, furieux, le Grand Architecte s'en alla réveiller le castor et le maudit.
"A partir d'aujourd'hui, tu devras construire des barrages sur les flots pour que jamais plus tu ne laisses toute l'eau du monde s'écouler. Et jamais tu n'en auras terminé, car les ratons viendront toujours détruire ton ouvrage, et il te faudra alors recommencer".

Mais, revenons-en à notre raton.
Sa race était, donc, très occupée à nettoyer les forêts. 
Le seul réel moment où il était admis qu'un raton ne soit pas en train de récurer les racines d'un vieux chêne était, justement, lorsqu'il s'en allait bastonner du castor.












Victorieux et impatient, notre raton était à la chasse aux papillons. Un activité hautement gratifiante car elle lui permettrait, à coup sûr, de s'attirer les faveurs d'une belle ratonne. 
En rentrant au village raton, il offrit un magnifique papillon (un machaon grand porte-queue ! c'est vous dire ...) à la rongeuse de ses pensées et bomba son torse velu devant toute sa tribu.
L'histoire fit bien vite le tour des foyers ratons et bientôt tous les jeunes laveurs voulurent faire de même. Quel besoin était-il de rester 3 heures et demi à pavaner sur une rive après avoir boxé un castor quand on pouvait utiliser ce temps pour attraper un papillon qui pouvait séduire une femelle ?
Dès lors que la combine fut percée à jour, tous les jeunes ratons se mirent à faire de même, et bien peu restèrent au bout des 3 heures trente pour s'assurer que leur victime castor ne serait pas à même de réparer son barrage.
Ainsi, les "ratés" se multiplièrent - et vinrent s'ajouter au nombre, normal, de ratons finissant rossés par les castors qu'ils avaient attaqués : car ceux-ci ne se laissent pas faire non plus. Il y eut plus en plus de barrages et bientôt, le monde fût inondé.











En ce temps là, Dieu passait beaucoup de temps à jouer avec sa dernière création, l'humain.
Quand celui-là eût les pieds dans l'eau, sans comprendre ce qui lui arrivait, celui-ci sortit de sa contemplation narcissique (il a fait l'homme "à son image" !!!) et s'en alla voir ce qu'il se passait dans la forêt.
Il ne lui fallu guère de temps avant de trouver les coupables. 
Décidément, se dit-il alors, les animaux sont ingérables ... 
Il eût alors une étrange idée.
Puisqu'il était trop occupé à créer l'univers pour pouvoir s'occuper des animaux, il laisserait l'humain s'en charger en son nom. Aussitôt dit, aussitôt fait - au sens littéral : il est omnipotent et possède donc le Verbe absolu, le performatif divin.
L'humain qui ne comprenait toujours pas d'où venait toute cette eau en reçut soudain des trombes sur la tête. Une tempête diluvienne commença.
Guidé par une inspiration toute divine, l’humain construisit un grand bateau, dans lequel, comme par magie et sans qu'il se demande ni comment ni pourquoi, toutes les races d'animaux se présentèrent bientôt par binômes. Finalement, pendant que Dieu cherchait la bonde de l'Océan Pacifique avec son masque et son tuba, le monde fut submergé. 
Quand enfin il l'eût trouvé et que les continents émergèrent de nouveau des eaux, l'humain laissa les animaux quitter son embarcation et remarqua que les ratons portaient maintenant un bandeau noir sur leurs yeux : le stigmate divin de la honte qui allait, génération après génération, devenir partie intégrante de leur pelage. 
Les animaux partis, Dieu expliqua à l'homme le goudron et le béton armé, afin que ce dernier puisse construire zoos et barrages, pour administrer le monde de manière plus sage que la vie sauvage.
Puis il partit en voyage, créer un autre univers. Et, même quand on est Dieu, sortir d'un univers en expansion pour aller en créer un autre dans le vide intersidéral voisin, ça fait loin.












L'on dit que le nouvel univers a été créé il y a peu (quelques milliards d'années tout au plus). Dieu devrait bientôt être de retour.

Depuis quelques temps, si l'on se promène dans les bois la nuit, il est possible d'entendre de drôles de bruits. Les rires étouffés des ratons qui se fendent la poire à l'idée de ce que Dieu dira quand il verra ce que l'humain a fait de son monde. 
Mais qui sait, peut-être que si l'humanité lui prépare un bon sorbet aux fraises, il passera l'éponge ... comme les ratons dans la forêt ?




Lisa

samedi 17 janvier 2015

Sonnet dézingué #4 : Le Colibri



Toujours dans la veine des "sonnets dézingués" (dont la méthode est exposée ici), je vous propose aujourd'hui un texte, fable "à la manière de" La Fontaine, sur le thème de l'engagement et de la solidarité.
En espérant que ça vous plaira ...



Le Colibri


Le colibri, oiseau gracile,
Quand le sous-bois s'est embrasé,
A décidé, lui si fragile,
De préserver son nid boisé.

Tous à la file, au pas de l'oie ; 
Tous déphasés et aux abois ;
Les animaux se sauvent, hagards.

Hors du convoi, le frêle oiseau
Se précipite - il est fébrile - 
Chercher de l'eau près des roseaux,
Chez le vieux Phil, le crocodile.

Le gros reptile, énorme et roi,
Vient lui jaser : "Vire de là !
File minot ! Allez, décarre !"

"Sauve ton cul, petit moineau,
Car la forêt sera rasée !"
Sur le départ, avec son eau,
L'oiseau lui dit, sans le toiser :

"C'est difficile et je me bats.
Laisse passer ! Car moi, tu vois,
Je porte l'eau, je fais ma part !"

Marcel Shagi

jeudi 25 décembre 2014

Le ciel est vierge encor quand se lève l'Aurore


Il y a quelques semaines, donc, je rencontrai mon bon ami Bernard de la ville de P., et nous bûmes un café en profitant jalousement des derniers rayons d'un soleil estival sur le déclin. 
Nous parlâmes de choses et d'autres, mais surtout de littérature, et de poésie. Peu versé dans la versification, je lui offris une anthologie afin qu'il puisse découvrir quelques unes de nos plus belles plumes et les faire discuter entre elles. A titre d'exemple, je lui citai le poncif de "La Belle matineuse" auquel plusieurs grands poètes s'essayèrent. Les trois poèmes que je lui lus semblèrent lui plaire, et je lui lançai donc le défi de renouveler le topos. Quoi de plus formateur que de faire ses armes avec un "à la manière de"?

Après son travail sur ce thème, voici le mien. Il s'agit d'un sonnet, tout ce qu'il y a de plus commun, qui tente humblement de proposer un nouveau dénouement à ce beau poncif. Puisse-t-il vous plaire.
Joyeux Noël. 



Le ciel est vierge encor quand se lève l'Aurore.
Un matin cependant, à l'heure du réveil,
Une nymphe paraît dont l'éclat sans pareil
Fait depuis l'Occident naître le jour encore.

Face à tant de beauté l'horizon se colore ;
Il rosit, il rougit, s'habille de vermeil, 
Et la flore après lui, à ce nouveau Soleil
Offre tous ses bourgeons et ses fleurs à éclore.

Si la nymphe triomphe elle n'est éternelle ;
L'Aurore le sait bien et sa gloire immortelle
Brillera, dans mille ans, d'une flamme profuse.

Alors de ses rayons elle fait un diadème,
Et l'offrant à la nymphe elle en fait une Muse,
Afin que sa splendeur lui survive en poème.

Marcel Shagi


dimanche 16 novembre 2014

Au beau crépuscule


Il y a quelques semaines, je rencontrai mon bon ami Bernard de la ville de P., et nous bûmes un café en profitant jalousement des derniers rayons d'un soleil estival sur le déclin. 
Nous parlâmes de choses et d'autres, mais surtout de littérature, et de poésie. Peu versé dans la versification, je lui offris une anthologie afin qu'il puisse découvrir quelques unes de nos plus belles plumes et les faire discuter entre elles. A titre d'exemple, je lui citai le poncif de "La Belle matineuse" auquel plusieurs grands poètes s'essayèrent. Les trois poèmes que je lui lus semblèrent lui plaire, et je lui lançai donc le défi de renouveler le topos. Quoi de plus formateur que de faire ses armes avec un "à la manière de"?

Voici donc, pour la première fois sur le Sous Espace, la plume de Bernard Saïd, dans une interprétation de La Belle matineuse, en "sonnet triché" - comme il le dit lui-même : une "nouvelle forme poétique pour les fainéants", ses vers n'étant pas tous d'une orthodoxie alexandrique avérée.



Au beau crépuscule

Sculptées dans sa peau salée et brune de l’été,
Ses courbes dorsales défient la ligne de l’horizon.
L’astre de feu retient sa chute, car sur le ponton
Un autre soleil embrasse la mer d’huile, troublée.

Il scintille tant que la Nuit refuse de tomber ;
La déesse avise son fils : « Morphée, attendons ».
Jaloux du jeune soleil, Morphée scande une chanson :
Les yeux clos, un songe glisse sur mon corps éthéré.

Hélas ! Tandis qu’endormi dansent mes désirs
Les dieux se disputent sa chair tendre comme des vampires.
Mais, nul ne peut vaincre pareille beauté par la haine.

Mon héros jaillit nu des vagues rouges et noires ;
Honteuse, même la lune s’éclipse devant la sienne.
Je me rends et m’incline à la lueur du soir.

Bernard Saïd



vendredi 10 octobre 2014

L'homme qui part (2) : Maudit qui comme Ulysse ...


Il y a de cela quelques mois, Lisa m'a lancé un petit défi : écrire une lettre, celle de l'homme qui part. J'ai eu beau essayer à de nombreuses reprises, dans différents formats, je ne suis jamais arrivé à un résultat probant. J'ai abandonné. Enfin, je croyais ... 
En effet, cette thématique a continué à mûrir en moi, et a motivé plusieurs écrits dont voici le premier. L'homme qui part ne sera pas, pour moi, une lettre, mais une série de textes ayant trait au voyage, au départ, ainsi qu'à l'abandon.

L'homme qui part (2) : Maudit qui comme Ulysse ... 

S'élevant du ressac, la douce mélopée
Se prenait dans les voiles et coulait sur le pont
Donnait aux palpitants des rythmes d'épopée
Battements syncopés, chaotiques, fripons 

Piano, allegro, ostinato, forte
Le nuage de chants se mua en orage
Démoniaque ouragan dont le tempo heurté
Réveilla en chacun une ardeur sauvage

A défaut du bateau tous les cœurs chaviraient
Les pauvres matelots tanguaient à chaque note
De cette mélodie dont chacun s'enivrait
– Bientôt sur le vaisseau ne restaient que leurs bottes

Tous mes copains d'abord, viennent de déserter
Passant par dessus bord pour s'unir aux sirènes
Je reste sur le pont, au grand mât ligoté
Tandis que je m'adonne à leur onde inhumaine

Mon radeau de raison, pris dans ce maléfice
A sombré dans la mer, en des bras langoureux
Cœur et voiles dehors, jusqu'au fond des abysses
Où je jette aux flots noirs un regard malheureux

***

Pourquoi ai-je rêvé des amours métissées
Par delà l'horizon où le ciel est béant ?
Je connais bien les Grecs et j'ai lu l'Odyssée
Pourquoi m'a-t-il fallu éprouver l'Océan ?

Je connais bien les Grecs, l’Iliade et ses drames
Et je sais que les Dieux se rient de nos espoirs
Ils attisent en nos cœurs de bien coupables flammes
Et ils aiment à les voir vaciller dans le noir

Car le monde est ténèbres et la vie éphémère
Que peut-il me servir de suivre tous les vents ?
Le rideau tombera bientôt sur ma misère
L'exil est la rançon des voyages ardents

J'ai quitté le confort de ton joli boudoir
Tes lèvres de corail, et ta moue enjôleuse
Pour chasser des chimères et porter l'encensoir
Du présent magnifié par les passions fiévreuses

Mais quand l'Aurore vient à la fin des bacchantes
Mon bonheur est en berne et mon désir est vain
J'ai soif de ta peau claire et de ta voix charmante
Les myrtes de Cythère ne font pas de bons vins.

vendredi 29 août 2014

L'homme qui part (1) : Au bout du monde, j'ai retrouvé mon coeur


Il y a de cela quelques mois, Lisa m'a lancé un petit défi : écrire une lettre, celle de l'homme qui part. J'ai eu beau essayer à de nombreuses reprises, dans différents formats, je ne suis jamais arrivé à un résultat probant. J'ai abandonné. Enfin, je croyais ... 
En effet, cette thématique a continué à mûrir en moi, et a motivé plusieurs écrits dont voici le premier. L'homme qui part ne sera pas, pour moi, une lettre, mais une série de textes ayant trait au voyage, au départ, ainsi qu'à l'abandon.


Au bout du monde, j'ai retrouvé mon coeur.
Il était là, tout palpitant, à bout de souffle au coin de la rue.
Quand il m'a vu, il m'a hurlé :
" Pourquoi donc m'as-tu laissé ?
Pourquoi es-tu parti sans me prendre avec toi ? "

Mon coeur est malade ; il est bien trop faible.
Bien trop grand, c'est une vraie éponge ; j'ai le coeur gros.
Mon coeur est un bateau dont la voile se gonfle au moindre embrun,
Mais il n'a pas la pied marin et craint les roulis de l'eau.
J'ai mal au coeur.

Moi, je suis parti car j'avais soif d'ailleurs.
Soif de vie, soif des autres ; je vais au bout du monde pour trouver du nouveau.
Moi, je suis parti, et je repartirais sur l'heure
Pour fuir les chagrins dont mon coeur et si plein.
Je ne suis pas très courageux.

La mécanique des coeurs est une chose étrange :
Attirés par l'inconnu, bientôt ils se consumment ;
Intense feu de joie, fièvre d'espérance
Qui chancèle et s'éteint sans raison, pour un rien,
Et qui laisse après soi des tas de cendre amère.

***

Au bout du monde, j'ai retrouvé mon coeur.
Je voyageais en clandestin et je dormais sous les étoiles ;
J'étais un anonyme au milieu d'inconnus,
Porté par le courant, ouvert à l'aventure,
Je n'avais pas laissé d'adresse.

Et pourtant, il était là mon coeur, tout pantelant et tout contrit.
C'était la nuit et j'étais seul, je n'avais pas d'échappatoire
Et aucune âme à l'horizon,
Alors j'ai recueilli ce toquant tout groggy ;
Je suis rentré à la maison.

mardi 10 juin 2014

Des océans dans des fontaines




En hommage à Abdel Raoul, ainsi à ce bon vieux Blaise.

« En ce temps là j’étais en mon adolescence … »




Alors à peine âgé de la vingtaine, la vie me semblait avoir déjà capitulé. Partout la routine et l’uniformité s’érigeaient en normes et l’or avait fui les vers que je ruminait à longueur de journée. Je vivais dans le sud et j’avais alors à cœur de finir mes études pour enfin me jeter dans le torrent de la vie. Je le pensais fougueux, je le voulais impétueux – impérieux même - ; si violent qu’il m’aurait comme pris en otage, malmené et roué.
J’étais un bourgeon, une fleur prête à naître, et je voulais éclore à la face du monde comme on rit au nez d’un impertinent : avec panache et audace. Mon cœur, jusqu’ici incolore, avait beau transir de désir, nulle part il ne trouvait la passion destructrice qui l’aurait affranchi de sa propre liberté. J’étais un produit mondial : une graine pensante dans un bouquet global que la bêtise – comme le folklore – a  tôt fait de faner. Un jour d’automnale grisaille, alors que je cachais mon visage derrière un passe montagne dont le motif floral reflétait mes déplorables appétits insatisfaits ; la coloration de la ville changea au son d’une voix.
Des notes hautes et riches – flûte de pan – pleuvaient sur la place. Les murs sur lesquels elles rebondissaient se chargeaient tout soudain de tons ocres et sucrés. Les commerçants et les gens bien comme il faut voulurent clore, à tous prix, leurs portes et leurs échoppes – fermer les écoutilles pour rester immergé dans la fange. Un bécarre explosa à mes pieds. Il me prit l’envie de danser. Mon soulier maculé de couleur battait la mesure tandis que m’on corps engourdi peinait à se réveiller. A la veille de l’Hiver, des Floralies prenaient la ville d’assaut.
Gagné par la fraîcheur du timbre cristallin, aveuglé par autant de couleurs ; je me guidais à l’oreille et cherchais à tâtons cette voix multicolore. Arrivé au centre de la place, je vis une naïade qui sortait d’un café pour plonger dans les eaux goudronneuses et glacées d’une proche fontaine.

Je la vois, je l’arrête et l’implore à genoux de renoncer à son bain.
— « Mais enfin ! pourquoi donc, lâcha-t-elle dans un rire, me priver de nager ? »
Et le monde devient un brillant paysage, un tableau radieux de sons pastels. Raisonné, raisonnable, je lui dis l’immondice des flots rances, et l’invite à s’en écarter. La surprise passée, étant bien élevé, je lui tends une main vierge et me présente. Culot rare, l’inconnue racée me fait un baisemain et garde ma pogne avec elle. Elle la tient, elle la tire et m’attire à elle près de l’onde noire. Autour de nous les falots ravinés et les intellos radicaux nous épient d’un œil mauvais quoique bovin.
— « Bon, je vous montre pour cette fois mon petit monsieur. »
Et la nappe pâteuse sursauta d’un ressac clair. Chaque éclat de ses mots venait zébrer la surface en un vaporeux reflux de lumière argenté.
Elle m’accroupit et pointa l’horizon par delà la houle. Au loin, un îlot ravagé dominait la mare ; et déjà nous ramions avec fièvre. Et même si le soleil et son halo rageur nous dardait de brûlures, nous ramions d’autant plus fort que le lac était grand.
— «  C’est notre royaume ! » scanda-t-elle avec joie.
Elle avait l’aura des Pythies d’autrefois, et la voix d’une ondée de printemps. Explorateurs des mers, raie d’écume dans la lame, nous voguâmes avec les serpents géants des grands fonds. Et l’orage et la pluie ne purent rien à l’affaire : nous croisions fièrement sans rien voir de la ville ni penser à autrui. Et le bleu de la mer enchantait nos cœurs de cabotins de paille.
Arrivés à l’îlot, elle me fit un présent : un grelot ravagé, outragé par le temps, dont le son métallique évoquait le ressac des eaux sombres et troublées qu’on venait de quitter.

De retour sur la place, j’étais extatique. Je me tournai vers elle tout plein d’espoir mais elle n’était déjà plus là. Je ne vis que sa cheville agile tourner à l’angle d’une rue, et alors que je m’apprêtais à la poursuivre, j’entendis l’écho sonore de sa voix résonner :
— « A une prochaine fois petit monsieur. Et souviens-toi : la mer est toujours bleue. »
Alors apaisé, je souris et décidai de rester méditer un instant la leçon qu’elle m’avait donné. Seul dans la foule – mais pour de bonnes raisons cette fois –, j’avais quitté les badauds et tous ces suce-goulots rationnels, sous perfusion de réel.

Il me fallut attendre la vingtaine pour apprendre à faire naître des océans dans des fontaines.


Marcel Shagi

lundi 5 mai 2014

Sous le masque de la déréliction




Sous le masque de la déréliction ...
Ou comment le poète reprend pied dans un gouffre sans fond. 





                        Rebond


  Un feu s’est allumé tout au fond de mon être
Un feu de désespoir qui tend à m’avaler
Flammes froides et bleues qui cherchent à s’envoler
Pour consumer mon ciel et le faire disparaître

  Un feu s’est allumé comme on referme un livre
La lumière du soleil est bien pale à côté
Des éclairs violets dont l’obscène beauté
S’abat droit dans le Gouffre et m’invite à la suivre

  Ce livre qui est clos est celui du désir
Qui s’est éteint tantôt quand la foudre est tombée
La terre s’est fendue quand le ciel a grondé
Dans l’Enfer mis à nu j’ai vu un corps gésir

  J’ai rencontré la Mort et vu dans ses yeux noirs
Empreinte de candeur, une lueur d’espoir

Marcel Shagi

dimanche 20 avril 2014

III





Dans la lignée des poèmes I et II. A bon entendeur ...




Indolent compagnon de la haine ordinaire,
Tu regardes sans voir et passes ton chemin.
Mais les fous sont partout, vois donc ces mercenaires,
Indolent compagnon de la haine ordinaire,
Qui insultent et rabrouent ; s'improvisent tortionnaires
D'un quidam - sans raison ! - ; pourquoi pas toi demain ?
Indolent compagnon de la haine ordinaire,
Tu regardes sans voir et passes ton chemin.

Marcel Shagi

samedi 15 mars 2014

Pensées inactuelles


En lisant ce brave Freidrich d'un oeil, et le courrier international de l'autre (oui, je louche, et alors ?), je me suis soudain senti l'envie d'écrire. Hop, ni une, ni deux, j'ai sauté sur un crayon qui passait et j'ai couvert de mes pattes de mouches la robe de la cavalière avec laquelle je dansais un langoureux tango. La baffe magistrale dont elle me gratifia n'eût d'égal que le panache de sa sortie : outrée, elle ôta sa toge et me la jeta tout droit à la tête. Je vous présente ici des morceaux de proses sur tissu dansé. 


Le monde est coupé en deux. Les ayants, et pauvres. L'on a cru qu'il existait une classe moyenne, pour tempérer cette dichotomie et donner suffisamment d'espoir aux prolos pour qu'ils gardent les yeux braqués vers les cieux tandis qu'ils restent à patauger dans la gadoue. 
Mais la classe moyenne n'est jamais que la brillante invention d'un tout petit occident qui a pris son temps pour faire ses nombreuses révolutions et installer ses nantis sur des trônes de sang (ou de fer, c'est selon). 

Le reste du monde, parti à l'assaut des couronnes de la honte, se dispense de toutes les étapes par lesquelles le vieux continent est passé. Pas le temps pour la classe moyenne. On n'achète plus les sceptres avec des congés-payés et un vague partage de la croissance aujourd'hui. On l'achète avec des armes, des bâtons, le béton, et des prisons. 

Et surtout, on pavane. On se dandine dans des habits de luxe que des travailleurs miteux ont cousu 10 heures par jour sans même arriver à gagner de quoi subsister ce faisant. On conduit de grosses voitures dans des villes aux rues longues et sinueuses, sans souci de logique ou de bon sens. Juste pour bien montrer qu'on fait partie du haut du panier. Ce panier en deçà duquel chacun se trouve prisonnier de sa condition, comme en cage. Michaël Jordan pour les richards, et Zizou pour les clochards. La cage, le bon vieux forçat des temps modernes n'aspire qu'à une chose : foncer dedans, balle au pied. La balle est un leurre et le piège se referme. Il est lui-même l'impitoyable gardien de sa geôle, il erre sur le terrain, sans but, en suivant une balle qu'on agite au loin, pour qu'il n'ait pas trop à penser. Non, surtout pas. Pas de pensées. Pas même de grammaire ou d'orthographe. La bonne ordonnance des mots pourrait par malheur accoucher d'un esprit clairement ordonné. Bradons l'école, et les idéaux de Ferry. Après tout, le Tonkinois était un affreux colonialiste, autant jeter le bébé avec l'eau du bain. 

Partout, on construit des stades, payés de sueur, de sang, de gaz et de pétrole. A Sotchi, à Dubai, à Prétoria, à Rio. Et l'on se borne à voir ça comme une chance. Comme des perspectives de business et de richesses. Si tout le monde met la main à la pâte, chacun gagnera sa vie à la juste force de ses poignets. L'on construit des stades, et l'on promet du pain. Et l'on parle de modernité ! Bigre, les romains ont finalement inventé quelque chose sans avoir eu à le voler aux Grecs : notre décadence.

Marcel Shagi

mercredi 5 mars 2014

Sonnet dézingué #3 : Ode au gandin



Vous l'aurez sans doute compris : l'idée du dandysme, cette ascèse sublime qui permet à un homme de se dépasser et de "devenir à soi-même son propre poème", est une idée qui me plaît (quand bien même je m'habille comme un sac : on parle d'une idée, pas d'un dogme).
Voici un hommage à ces êtres pleins de panaches. Ode au gandin ...



Ode au gandin ...

La redingote et le chapeau,
Comme l'amour et les plaisirs,
Etaient l'héraldique drapeau
Des gandins morts pour leurs désirs.

Archétypaux en contre jour,
Il faut saisir dans leurs discours
La parodie et l'artifice.

Car ces atours et ces édits
Ont été vus mal à propos
Comme les lois dans grands dandies ;
Mais pas de pot, c'est du pipeau !

Les oripeaux et le glamour
Viennent ternir le doux velours
Des prosodies ; de leurs prémisses.

Car poésie et comédie,
Ce sont des règles à se choisir ;
Des édifices, des monodies :
C'est là tout l'art de se construire !

Bien dans sa peau, libre toujours,
Il sait séduire avec humour ;
Le beau dandy plein de malice.

Marcel Shagi

mardi 25 février 2014

La note de musique




Petit défi poétique lancé par Nine, sur le thème de la note de musique ...





Dormir, j'en ai rêvé, mais le vache Morphée
Récite des poèmes, il ne voit plus le temps ;
Minaudant au miroir, ménageant ses effets,
Fat et sot, il m'ignore pendant que je l'attends.

Soliloque insomniaque, une note me tanne,
La clé de l'Ut m'habite et tourne dans ma tête ;
Si Morphée ne vient pas, juré ! je me trépanne !
— Dormir ! La note ou ma vie, que l'une s'arrête !


Marcel Shagi 

dimanche 9 février 2014

Enfin.


Ma photo

Jeanne s'habille et ensuite prend son petit-déjeuner.

Oui, ce n'est pas logique, mais les habitudes ne changent pas. Surtout les mauvaises. Elle a une belle journée en perspective. Seule, mais une belle journée tout de même. Beaucoup se réjouissent d'avoir enfin un moment pour eux. Ce n'était pas son cas. Justement, elle rêvait d'avoir enfin un moment pour ses amis. Elle n'a pas de petit-ami. Elle n'a pas de chat. Elle n'a qu'elle et son travail. Elle n'a pas de collègues non plus. Elle n'a qu'elle. Elle, et le métro.

Elle aimait tant observer les passagers du métro parisien. Il y avait ceux qui étaient mal réveillés, ceux qui étaient en retard, ceux qui appréhendaient l'idée d'aller travailler. Elle était contente quand elle voyait un visage heureux de sa journée. Des fois – souvent - elle rencontrait les mêmes personnes, les mêmes visages, et elle avait fini par apprendre à deviner leurs vies à partir de petits détails: nouvelle tenue, nouveau livre, nouvelle personne avec eux dans le wagon. Elle trouvait cela génial, des gens qui partagent le même espace, réduit, familier, à la fois seuls et cohabitant. Le métro parisien était sa destination préférée. Elle pouvait le prendre encore et encore pour observer la foule, anonyme et individuelle. C'était sa manière de partager les choses. Les choses des autres. Les premiers temps elle s'amusait de voir la masse vivante se déplacer. C'était digne d'un documentaire aquatique: les gens sortaient du métro et marchaient d'un pas commun et frénétique, à des rythmes différents mais vers de mêmes destinations. Un véritable banc de poisson.
Tous tournaient au même endroit au même moment pour prendre la sortie 3 de Châtelet ou pour faire le changement de la ligne 1 à la ligne 14 direction Saint-Lazare. D'une même foule se dessinaient plusieurs parcours, et Jeanne différenciait ainsi les Parisianus Olympiadus des Cadrus Défensus, même si les indécis Touristus Pauméus brouillaient les pistes.

Mais aujourd'hui c'était différent. Le métro devait la mener à un endroit précis, enfin.

lundi 20 janvier 2014

Mon Soleil



L'amour se renouvelle sans cesse et nous surprend toujours lorsqu'on s'y attend le moins. La personne pour qui l'on s'enflamme devient un alpha dont on souhaite ardemment devenir l'oméga. Historiette d'un alpha évanoui sans son oméga ... 




J'ai aimé un soleil
Frais comme la nuit
Lorsqu'au point du jour elle sourit
Avant de prendre son congé

Un soleil tout petit, un astre de poche
Que j'aimais à serrer pour me réchauffer
Que je contemplais pour ne plus penser
A ce qui se cache dans les ténèbres

Il suffit que j'y pense pour le retrouver tel qu'il était quand on s'est rencontré
Moi, je dérivais dans le cosmos, sur la queue d'une comète
Et lui, il dansait avec les astres
Une danse oscène : celle des mille et un voiles

Je le vois flotter dans des rubans de feu
Qu'il agite dans les vents marins
Le monde n'est soudain plus qu'un ciel de cristal
Qu'il brise en étoiles à chacun de ses pas

Nimbé de lumière, il se meut sans accroc
Et tous les dieux des païens font partie de la danse
Ils l'encerclent et chantent à plein poumons
Le folklore des divins et de leur toute puissance

Fier et insouciant, mon soleil s'envole
Entrechats, pas de loups ; il marche dans l'air
Et je vois après lui flotter dans l'atmosphère
Des volutes bleutées et des nuages verts

Il domine le monde comme on domine la mer
Il est seul au milieu de ce grand univers
Et les vagues de lait des cieux embrasés
Ne peuvent pas l'atteindre : il glisse à leur surface

Ballet des astres le roi soleil
Qui m'a ravi dès le réveil
Gonfle mon coeur d'un désir tendre
Je n'ai de cesse que de l'attendre

Il descend, il m'arrive, mon cher petit soleil
— « Un peu plus bas, encore un peu, viens me prendre ! »
Mais voilà qu'il se sauve et me laisse glacé
De frisson et d'effroi : il ne s'est pas arrêté.



Marcel Shagi